Tour à tour


TOUR À TOUR


ADRIEN COUVRAT, NATHALIE ELEMENTO, SYLVIE FANCHON, SARA FAVRIAU, AGNÈS GEOFFRAY, LAURENT GOLDRING, ATSUNOBU KOHIRA, MICHA LAURY, ARNAUD LESAGE, JOSE LOUREIRO, NICOLAS MULLER, ERIK NUSSBICKER, PAYRAM, NATHALIE TALEC

07.09.24 - 19.10.24

Dossier de presse

      Dans cette exposition collective de rentrée, vous découvrirez « tour à tour » des artistes de la galerie Maubert, pour qui le cercle ou la sphère, reste un terrain d’expérimentations à la fois plastiques, sensibles et conceptuelles. 


      La nature est ronde : elle pourrait abolir toute discontinuité et son mouvement semble éternel. Le cercle renvoie ainsi à notre rapport au monde et à ses paysages. Dans ses séries Openings et Décentrations, Arnaud Lesage dévoile comment les motifs circulaires, collectés par l’artiste via un lent nomadisme à travers le globe, (dé)structure la vision pour devenir signes potentiels : une percée arrondie dans une ligne d’horizon évoquant un œil de bœuf ouvert sur un panorama nébuleux, un tunnel bétonné scindé par des puits de lumière, aux courbes semblables à des encyclies sur une eau anthracite... 

      L’homme et la nature créent ensemble de nouveaux paysages où le cercle, qui n’a ni haut ni bas, ni début ni fin, peut parfaitement incarner les notions de communion et de circularité. Dans Les belles manières de Sara Favriau, une multitude de minuscules disques sculptés s’entrelacent, s’accumulent et se confondent, comme autant de liens entre homme, nature et art. L’œuvre, développée lors d’une résidence en partenariat avec la Compagnie française du Bouton, questionne le geste du sculpteur et de l’artisan, de même que la transformation de la matière, ici des boutons en bois, nacre ou plâtre, dont la fonction initiale est abolie au profit d’un retour vers une forme organique, expansible, presque animée : là où l’art redevient vivant.

      Atsunobu Kohira explore également les processus d’émergence de la vie par une matérialisation des énergies invisibles, et notamment le cycle du carbone. Il propose ici une Graphite Sculpture, où de fines structures de graphite enveloppent des plantes recroquevillées en cercle. Un voyage dans l’infiniment petit de la matière où chaque fin marque le commencement d'une nouvelle phase.

      Le cercle renvoie donc à la vie et son cycle, comme chez Erik Nussbicker qui questionne notre place dans la nature, éprouvant les limites de notre enveloppe charnelle. Le cercle revient tantôt dans des peintures post-méditatives, au sein d’installations évoquant Terre et cosmos, ou encore dans des Peaux de terre, morceaux de sphères découpées dans la soie portant les traces des mouches élevées en son sein. Suspendue au mur de la galerie, cette membrane nacrée, fine comme la peau, est un outil symbolique pour mieux comprendre le monde, nos origines et notre finalité.

      Cette peau qui enveloppe le corps peut devenir refuge, notion qui jalonne le travail de Nathalie Talec depuis les années 80 : le globe et ses pôles, l’igloo, les capuches sphériques, sont tout autant des espaces de repli pour le corps et l’esprit. Dans la vidéo Les silences parlent entre eux (2003), on retrouve cette récurrence du cercle qui se multiplie jusqu’à créer des effets hypnotiques et hallucinatoires. Vêtue d’une blouse scientifique et d’un masque de cerf et d’un hula hoop, l’artiste évoque autant l’expédition scientifique en terre polaire qu’un étrange rituel chamanique et psychédélique. L’anneau devient symbole de l’exploit, au même titre que ceux entrelacés des Olympiades. La figure de l’héroïsme ressurgit également dans cette bouée de survie rouge recouverte de strass de Swarovski, ou dans ces dessins de cible (I predict the riot, 2007).

      Micha Laury étudie lui aussi nos limites physiques en lien avec notre perception du monde. La circularité de l’espace (le globe par exemple) est liée à celle du temps (le cadran de l’horloge par exemple) : dans son dessin de performance de 1975, un homme, situé dans l’axe du pôle Nord, tourne progressivement sur lui-même pendant 24h en sens inverse de la rotation de la terre, à l’encontre donc de son mouvement naturel. Cet acte de résistance face à la manière dont le monde ‘’tourne’’ nous rappelle que l’art amène au dépassement : la Roue de bicyclette (1913) de Duchamp – première œuvre cinétique annonciatrice des Rotoreliefs (1935) – se libérait déjà de son usage au profit de sa forme, un cercle, et de sa qualité essentielle, le mouvement.

L’art est donc une « révolution ». La métaphore de l’astre en mouvement est régulièrement reprise par les artistes, ici avec les peintures solaires d’Adrien Couvrat ou les règles lunaires de Nicolas Muller. Chez ce dernier, la dualité entre les traits tantôt aléatoires, tantôt contrôlés, est une constante inhérente à son travail autour de l’émancipation des formes et des contraintes : le geste spontané, expressif, révolté mais à l’intérieur d’un cadre raisonné, normé, autoritaire, résonne avec une pensée politique concernée par la gestion du paysage et de l’espace social.

      L’orbite, le globe… caractérisent à la fois le champ lexical des astres mais aussi de l’appareil oculaire. L’art serait donc un regard, en mouvement, une exploration du monde dans toutes les directions. Chez certains photographes, comme Arnaud Lesage, le cercle comme sujet devient le prolongement de la caméra et, plus globalement, du regard du photographe. Une série de polaroïds de Payram présentent des cadrages très serrés sur le visage de femmes réfugiées iraniennes enceintes : le reflet circulaire du diaphragme de l’appareil se retrouve logé dans l’iris du sujet, répondant à la vie qui se développe en elles. Une sorte de mise en abyme du regard, soulignant la fascination du motif de l’œil chez certains artistes. Agnès Geoffray va jusqu’à présenter une photographie anonyme sous verre d’un œil exorbité. Tout est rond : le globe, l’iris, la pupille… Même fixe, empêché par la cloche, le regard évolue dans les trois directions, il est omniprésent. Il surveille. Dans ses monumentales peintures sur papier, José Loureiro fait tourner ses pinceaux comme un potier qui érige des formes : yeux, caméra de surveillance, phares de voiture… ces grands cercles hypnotiques fonctionnent tels des signaux, qui à la fois pointent, scrutent et s’épanchent comme les cernes du bois.

      Sylvie Fanchon a quant à elle le goût du « presque » abstrait. Elle n’adhère jamais complètement à un mouvement, et ses cercles sont plutôt des « abstractions du réel ». Que voit-on en effet ? Une abstraction avec trois cercles assemblés ou un Mickey ? De simples ronds accumulés ou des visages, des yeux, des fleurs ?

      Le cercle, d’une certaine façon, lie l’expression à l’émotion. Si certains voient le corps comme un cercle (notamment dans les video stills de Laurent Goldring), d’autres, à l’inverse, regardent le cercle de façon anthropomorphique : on y retrouve des yeux, des visages, des cerveaux… Dans tous les cas, le cercle reste proche d’un portrait, d’une mémoire, d’une intériorité comme dans le travail de Nathalie Elemento. Elle, qui privilégie la ligne, la pliure, le pointillé comme signe de continuité́ et de lien, nous propose, avec Contemplate, des boites pliées circulaires évoquant les assiettes que l’on trouvait anciennement en décoration murale des maisons bourgeoises. Ici, pas de scènes populaires ou historiques dessinées au centre : les fonds sont neutres, blancs (« en forme ») ou noirs (« à plat ») et évoquent des postures qui pourraient être les nôtres. En leur donnant un prénom comme titre (ici Norah et Myriem), Nathalie Elemento les humanise. Et même si les dessins au centre ont disparu au profit d’un monochrome neutre, les plis plus ou moins prononcés transforment l’assiette-sculpture anonyme en portait-médaillon.


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