Face à ce moment crucial. Ce temps d’un basculement qui va changer notre vie. Nos vies. Que peut-on faire ? Que doit-on faire ? C’est tout le propos de cette exposition personnelle d’Eric Gugliemi à la Galerie Maubert : quels lendemains nous réservent nos actions d’aujourd’hui ? Un face-à-face avec nous-mêmes. Notre conscience. Nos responsabilités. De son Ardenne natale, à l’Ukraine parcourue d’Est en Ouest le long du pipeline, sur les traces des origines de la mondialisation, de l’Afrique au Bangladesh, le photographe nous livre les images inédites d’un monde sous perfusion. Photographies, vidéo et installation relatent une souffrance qui rivalise avec celle de catastrophes pourtant plus médiatisées. Une asphyxie programmée. Eric Guglielmi panse ses images. Les toiles suspendues, les voiles cachent pudiquement les façades, des morceaux de pipeline affleurent à la surface, des tuyaux sortent de fenêtres béantes… Nous avons bien là une société qui soigne ses blessures, se recharge, cherche son oxygène. De l’air. Un va-et-vient de l’intérieur à l’extérieur, du dedans au dehors. De l’essentiel au superficiel. Du périssable à l’immuable. Seul élément de stabilité : la nature, pérenne, qui se régénère d’elle- même. Un arbre imposant, un rocher séculaire, un cours d’eau inépuisable… Cette nature se joue des traces de l’homme, ses déchets, ses rejets. Elle imite ses symboles, comme ses croix venues imposer une religion alternative. Elle est là comme le témoin d’une force qui a déjoué la fatalité, qui tient bon. Il est encore temps. Car c’est bien du temps dont parle Eric Guglielmi. Le temps de la marche : le long du pipeline ukrainien, du fleuve Niger, dans les villes traversées par Arthur Rimbaud, dans les ports qui ont joué un rôle dans la traite négrière… Des marches souvent longues, des années pour affiner un propos, à mettre en parallèle d’une prise de conscience parfois très lente de nos sociétés qui s’enlisent inéluctablement dans la complaisance et l’impuissance. Mais parfois un déclic, une fulgurance, comme ce voyage éclair, nécessaire, au Bangladesh, pour mettre à la lumière une tragédie incomprise. Le temps de pause : un temps qui convient à Eric Guglielmi car lié à l’attente, à la réflexion propre à un médium argentique menacé de disparition. Cette lourde chambre noire, imposante et respectable, a été le sésame d’entrée dans l’immeuble dévasté du Bangladesh. [Quality Station ], ce ne sont pas que les quelques lettres que l’on devine sur les cabines vitrées de ce fragile temple du textile, c’est aussi la revendication d’un artiste qui a toujours lutté pour [s’]imposer la qualité avant la productivité. La chronologie déconcerte volontairement. Un jeu entre le latent / le potentiel [cet arbre qui trône sereinement, ce chien qui tourne inlassablement autour de sa corde…], et le réalisé / le drame [les accumulations de vêtements près des ruines du Rana Plaza, la neige souillée du sang d’un sanglier]. Un temps perturbé dans sa linéarité pour mieux montrer que tout reste possible, qu’il est encore temps de ré/agir. Parce que l’ “après” est toujours un “avant “…