Né en 1936 à Cologne, formé de 1957 à 1961 à l’Académie des arts de Düsseldorf, Joachim Bandau crée depuis la fin des années 1960 des sculptures, dessins et aquarelles situés entre figuration et abstraction, organicité et géométrie, affect et rationalité. Comme en témoigne l’exposition personnelle de Joachim Bandau à la Galerie Maubert (Paris), La face cachée, si sa carrière est caractérisée par deux périodes aux styles a priori antinomiques, chacune d’elles s’attache néanmoins à la transcription de différents états du corps, à la fois physiques et psychiques.
De 1967 à 1974, Joachim Bandau réalise des structures monumentales en polyester montées sur des roulettes et laquées de peintures monochromes, aux formes arrondies et sinueuses. Ces sculptures biomorphiques, présentant parfois tuyaux et boulons, évoquent des équipements médicaux ou des machines organiques, mais aussi des sarcophages ou des cercueils évidés. Autant de structures comme sorties d’un univers de science-fiction, dont l’apparence lisse et design est en réalité chargée d’une vision du corps aliéné, à la fois protégé et contraint par les technologies modernes. S’affirme ici l’un des principaux thèmes de Bandau, à savoir la tension entre enfermement et déploiement dans l’espace (ici impliquée par la potentielle mobilité des sculptures à roulettes), qu’il poursuivra à partir de 1976 à travers un vocabulaire radicalement renouvelé.
En effet, de 1976 à 1978 l’artiste abandonne la sculpture pour se consacrer exclusivement à des dessins de grands formats en noir et blanc, représentant des bunkers géométriques et rectilignes. Dans la continuité de ces dessins, Joachim Bandau reprend à partir de 1978 son activité de sculpteur, substituant au vocabulaire organique et technoïde de ses premières œuvres un vocabulaire désormais strictement stéréométrique et architectural. Il conçoit alors une nouvelle série de sculptures apparentées à des bunkers (1978-1980), constituées de bois recouvert de plomb, qui présentent sur certains de leurs côtés des ouvertures suggérant des espaces invisibles et inaccessibles. Parfois composées de plusieurs modules, que l’on peut réunir en monolithes ou au contraire disperser dans l’espace, ces sculptures toujours placées au sol transcrivent des rapports opposés au monde – contenus dans la fonction même du «bunker» –, de protection et d’attaque, de repli ou d’expansion. Tout se passe comme si ces bunkers étaient traversés par des forces à la fois centrifuges et centripètes, mouvements contradictoires que l’on retrouve dans les différentes séries de sculptures produites par l’artiste jusqu’à aujourd’hui.
En effet, Joachim Bandau décline depuis lors diverses possibilités d’imbrication et de démontage entre des pièces en métal, que l’on peut soit assembler en blocs fermés sur eux-mêmes, soit fragmenter dans l’espace. Agencées au sol ou fixées aux murs, ces sculptures recèlent des constructions intérieures des plus complexes qui se dévoilent lorsque leurs différentes parties sont désassemblées, comme c’est notamment le cas avec sa série de « Stèles » (1988-1989). Un mouvement réciproque de l’intérieur vers l’extérieur, entre retrait et emprise sur l’espace, également suggéré dans les aquarelles que Joachim Bandau produit depuis les années 1980. Sur de grandes feuilles de papier blanc, l’artiste étale de multiples couches de peinture gris clair qui, par leurs superpositions et juxtapositions successives, constituent des strates rectangulaires noires ou évanescentes. Tout en dégradés de gris, ces aquarelles évoquent des décompositions photographiques du mouvement, comme si chacune d’entre elles était la capture des déplacements successifs d’un même bloc de couleur, mu par d’incessants va-et-vient des zones les plus opaques aux plus translucides. À l’image de ses sculptures, les aquarelles de Bandau distillent ainsi des sensations simultanées de contraction et d’extension, dont la portée est à la fois psychologique et existentielle, exprimant des positions de repli et d’ouverture au monde.
Si les œuvres de Joachim Bandau ont souvent été assimilées au Minimalisme, un courant dont il fut le contemporain, il s’agit là d’une interprétation de courte vue. En effet, là où les formes épurées et géométriques du Minimal Art visent à dégager la sculpture de toute dimension émotionnelle et anthropomorphique, celles de Joachim Bandau en sont au contraire chargées ; alors que le corps est dans l’Art Minimal un instrument de perception extérieur aux œuvres, il est au cœur même des pièces de Bandau, dans sa dimension à la fois physique et psychique. Réconciliant logique et affect, Joachim Bandau est le créateur d’une géométrie émotionnelle.
Sarah Ihler Meyer,
critique d’art et commissaire d’exposition indépendante