1, 2, 3, SOLEIL !
Attendre, compter, prélever.
1, 2, 3, SOLEIL !
S’avancer, (se) figer, contempler.
1, 2, 3, SOLEIL !
Ce jeux de notre enfance évoque un état de veille, un affût sans relâche que l’on retrouve conjointement dans les travaux du photographe Eric Guglielmi et du plasticien Jonas Delhaye : la recherche d’une cible, l’attente, le temps suspendu en face de cette proie qu’est l’image.
L’attente est avant tout une préparation : préparer son matériel (installer sa lourde chambre pour Eric Guglielmi, ou créer un appareil sténopé, contextuel au lieu qui sera photographié, pour Jonas Delhaye), préparer son œil, préparer l’environnement. Chez Eric Guglielmi, une journée complète est parfois nécessaire avant la prise de vue. L’attente que la luminosité soit idéale, l’attente que le corps de l’artiste – devenu sculpture par la fusion avec la chambre – s’assimile au paysage, se fasse apprivoiser par le monde qui l’entoure, se fasse oublier. Chez Jonas Delhaye, la lente confection de l’appareil photographique est tout aussi importante que la prise de vue : glanant des objets, particules, matières, poussières… il les accumule pour créer des appareils sténopés. Par exemple, avec Sainte-Barbe, Champ de tir de l’aviation militaire, des fragments d’obus et d’os que la déflagration a transformés en matériaux. Armé de son nouvel appareil, Jonas Delhaye retourne sur les lieux de la collecte et photographie. Les traces photographiques laissent alors apparaître à la fois le lieu photographié (les infrastructures militaires : cibles, guides de vol, blockhaus…), mais également la matière qui le constitue (la structure interne de l’appareil), telle une radiographie. Origine et destination se confondent dans une mise en abîme de l’image.
1, 2, 3, SOLEIL !
C’est aussi aller droit au but. Dans sa dernière série, What happens ?,
réalisée à la chambre 4×5 inch, Éric Guglielmi cherche à rendre compte de ce que les paysages laissent voir des violences économiques et sociopolitiques que les hommes infligent aux territoires. Aux États-Unis, questionnant les accords économique du TTIP, en Lorraine, ancien fleuron industriel, en Roumanie, un des plus pauvres pays d’Europe, parsemé des ruines de l’ère soviétique, le photographe s’intéresse à la manière dont ces espaces malmenés traversent le temps, à leur mémoire traumatique mais aussi à leur résilience. La série se construit dans un rapport au réel distordu et met en scène les redressements et les renversements qui s’opèrent dans la chambre photographique. Elle commence par cette image enchanteresse de Pulaski, petite ville du Tennessee, où tout semble parfait : le vert tendre de la pelouse fraichement tondue, la généreuse frondaison des arbres en arrière-plan, un soleil de fin d’après midi qui souligne la blancheur de l’édifice et respire la sérénité. Et pourtant Pulaski a vu naître le Ku Klux Klan.
1, 2, 3, SOLEIL !
C’est enfin s’extraire de son corps pour contempler le monde, le survoler et scruter les ruines d’un chaos. Ce monde, qui sera happé par le trou noir, celui de la chambre ou de l’appareil sténopé, le Chaos Originel, est entièrement lié aux modalités d’apparition de l’image : chez Jonas Delhaye, les appareils qu’il construit sont des fétiches, des abris construits dans le chaos pour mieux le recueillir. Dans un lien d’interdépendance, l’œuvre est la fois dispositif, processus artistique, empreintes, éléments qui prennent corps durant l’exposition comme les traces archéologiques issues d’une rencontre avec le paysage et le monde. Ses ruines et ses traces.