JE PENSE À UNE VACHE


JE PENSE À UNE VACHE VOLAGE DANS UN CHAMP, UN PEU LIBRE, AVEC D’AUTRES VACHES POUR FAIRE DES FROMAGES. JE N’ABANDONNE PAS LES CHAPELLES ; PIERRE GRISE TU ES VERTE, C’EST UN BUT.

SARA FAVRIAU

27.05.2021 - 31.07.2021
Dossier de presse

Dans sa nouvelle exposition à la Galerie Maubert, Je pense à une vache volage dans un champ, un peu libre, avec d’autres vaches pour faire des fromages. Je n’abandonne pas les chapelles ; pierre grise tu es verte, c’est un but. Sara Favriau, imbrique analyse scientifique, recherche, essai, poésie, selon une simple forme. Selon une simple action, comme un arbre, un cèdre hybridé en pirogue, qui traverse une mer pour retrouver une forêt. 


Plus concrètement, depuis son exposition personnelle en 2016 au Palais de Tokyo, Sara Favriau s’interroge sur la chaîne de consommation du bois : par exemple, les conséquences de l’abattage forestier, notamment pour les besoins d’une œuvre d’art. A la biennale de Bangkok (2018) et au Domaine de Chaumont-sur-Loire (2017), tout en analysant les circuits d’import-export des essences locales, elle sculpte troncs ou poutres industrielles, en questionnant l’impact de son geste sur le vivant (en sculptant l’aubier, là où circule en périphérie la sève, donc la vie). À Los Angeles et à la biennale de Rabat (2019), ses œuvres, outre leur dimension poétique, constituent aussi une réflexion sur l’origine des matériaux, l’extraction des ressources et leurs déplacements. A la Villa Noailles et au Festival des Forêts d’Ile-de-France (2020), Sara Favriau collabore avec des scientifiques (notamment de l’INRAE Avignon) et une réflexion sur l’in situ et l’ex situ, considérant la forêt comme un espace d’engagement. Un espace d’engagement collégial, où les arbres comme les hommes font éclore de nouvelles formes, de nouvelles mythologies : ses œuvres, issues d’arbres condamnés par la sécheresse sur des parcelles de recherches, sont transportées dans des lieux de culture, ou bien s’installent dans le cadre naturel de la forêt en questionnant la temporalité et la pérennité d’un land art d’un nouveau genre. En regardant de plus près ces dernières sculptures, on remarque les interventions qui évoquent, pour la plupart, des processus chimériques : une façon d’«hybrider» le bois, en incisant dans ses profondeurs pour lui attribuer de cette manière, plumes, écailles, poils... Nature et culture se mélangent, au cœur de la forêt, avec de minutieux détails proches d’un travail d’orfèvrerie, tous singuliers. 

C’est une exposition à l’échelle d’une galerie et non pas à l’échelle de la forêt, que Sara Favriau propose à la Galerie Maubert. Certaines œuvres s’enrichissent toutefois de collaborations (ou de tentatives) avec d’autres artistes ou des biologistes : plusieurs mains s’engagent à cultiver le jardin d’œuvres d’une exposition non strictement personnelle, où le métissage tient finalement une place fondamentale. 

Depuis quelque temps, Sara Favriau s’intéresse à un concept populaire, le « marronnage », qui nourrit les corrélations de ses nombreuses recherches. Le mouvement du marronnage se déploie sur près de quatre siècles dans les Amériques et les archipels de l’océan Indien. Il s’est formé à partir du comportement de communautés clandestines, qui se camouflaient pour échapper aux «colons». Par exemple, le créole est une langue contournée et codifiée, et la capoeira oscille de façon ambivalente entre danse et combat. La forêt a un rôle primordial dans ce camouflage physique et intellectuel 1.

Dans l’exposition à la Galerie Maubert, Sara Favriau crée un ensemble d’œuvres qui attestent de cette tentative de détournement des forces de la nature pour déjouer la culture.

Miel, par exemple, investit le champ de l’histoire de l’art (J. Beuys), celui de la géopolitique (la Conquête de l’Ouest), mais aussi celui de l’anthropologie contemporaine (modernisme - animisme - totémisme), et enfin de l’histoire des sciences (le darwinisme). L’installation, composée de six œuvres, voyage de manière autonome et s’expose sans la présence de son créateur. Ses deux caisses de transport deviennent socles et conservent les traces des allers-retours (notamment celle d’une première exposition à Los Angeles lors de la résidence FLAX). Les essences de bois sélectionnées - bouleau, olivier et houx - ont été choisies en correspondance avec celles des bois historiquement importés sur le territoire californien. Ici, le matériau bois, autant que l’œuvre-bagage, questionnent la métamorphose d’une forme de vie en marchandise.

Le titre d’une autre œuvre, Bacille ou la résurrection, induit une relation entre la dénomination scientifique d’une bactérie (la Bacille, représentée en forme de bâtonnet) et la notion de vivant par la résurrection. Cette œuvre est un ensemble de branches de hêtres et de charmes, glanées dans la forêt de Fontainebleau durant le confinement de mars 2020. Ces branches ont été sculptées - poilées ! - et sont installées verticalement contre un mur en fonction de leur taille : ainsi, elles deviennent une valeur numéraire analytique. Leurs poils, curieusement, leur redonnent vie et émotion : la bactérie ici n’est ni menaçante, ni fataliste, mais bien vivante. Ce n’est pas la première fois que Sara Favriau se réfère à des courants populaires, afin de les transposer. Elle convoque leurs formes pour mettre en dialogue des sculptures et des installations : une cabane, une pirogue, des fétiches, un arc, un arbre… «Je développe une pensée horizontale dans laquelle de nouvelles formes peuvent éclore de façon collégiale (les Arbres comme les Hommes). Introduisant le marronnage, Edouard Glissant, avec sa pensée du Tout-monde et de la Relation, nous présente un monde de mélange et de singularité. Un Tout-monde qui s’oppose à la simplification de la culture d’une société. Un métissage proche de l‘actuelle écologie des idées. Il est temps de prendre au mot Edouard Glissant, mêler ces propos à ceux d’Isabelle Stengers, Donna Haraway, Bernard Stiegler... Il est temps de mon côté, en tant que plasticienne, de les métisser pour leur donner une forme.»


1 « Les tactiques marronnes ne visent pas à renverser les pouvoirs institués, mais, au contraire, à déjouer les jeux de pouvoir qui nous amènent à reproduire, à mimer, à singer ce contre quoi nous nous battons. Le marronnage relève ainsi moins de la conquête que de la soustraction. (...) Dans les Amériques, les langues et cultures populaires comportent nombre de témoignages de la symbiose du marron et de la forêt. Les Aluku, Saramaka, N’dyuka et autres peuples marrons de Guyane française et du Surinam se désignent eux-mêmes comme les Businenge les «hommes de la forêt». Quant aux Créoles guyanais, ils utilisent l’expression lavi danbwa (la «vie dans bois») pour évoquer le marronnage.» (Lignes de fuite du marronnage, Dénètem Touam Bona)

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