Portraits d'architectures, Irmel Kamp


PORTRAITS D'ARCHITECTURES


IRMEL KAMP

26.10.24 - 07.12.24 

Dossier de presse

     Depuis la fin des années soixante-dix, Irmel Kamp (1937, Düsseldorf) photographie l’architecture. Ses prises de vue se caractérisent par une certaine mise à distance de l’objet, montré dans son ensemble, comme s’il était appréhendé par un regard humain au détour d’une déambulation. Sans recherche d’emphase sur les volumes ou les formes spécifiques à chaque construction, mais avec le souci constant de les faire apparaître dans l’environnement qui les accueille[1], ces compositions sobres, toujours en noir et blanc et dominées par un ciel invariablement gris, constitue une ressource précieuse sur l’architecture moderne en Europe et au Moyen-Orient – où elle a notamment photographié plus de 650 immeubles de la Ville Blanche, à Tel Aviv.

     L’approche précise qu’Irmel Kamp a développée pour ces constructions, toutes préalablement étudiées et retenues pour leurs caractéristiques propres, n’inscrit cependant pas ce travail dans une recherche typologique semblable à

celle, notamment, de Bernd et Hilla Becher. La photographe, issue d’une famille d’architectes et de scientifiques – et qui, par faute de moyens, s’est tournée vers la métallographie plutôt que l’architecture à la fin du lycée, avant de pleinement se consacrer à la photographie – ménage au contraire une attention particulière aux interventions humaines les plus spontanées, qui signalent l’intégration des bâtiments dans une certaine réalité sociale ou économique. Ainsi, ces « portraits d’architectures », comme l’exposition à la galerie Maubert les nomme, ne sont pas uniquement l’archive de styles architecturaux localisés ou de leur propagation, mais un témoignage de l’attention leur étant portée dans les différents contextes où ils s’érigent.

     La dimension mémorielle de ces images, si elle ne constitue pas un enjeu primordial de leur production (on y discerne plus clairement une approche sensible, et éclairée, pour des constructions architecturales ayant influencé leurs milieux) finit immanquablement par s’affirmer quand elle révèle des traditions vernaculaires en voie de disparition. La série Zink (1978-1982), première réalisation d’envergure de l’artiste, constitue dans cette perspective un exemple remarquable. Irmel Kamp a photographié, en parcourant méticuleusement pendant quatre années un petit territoire circonscrit par les villes de Liège (Belgique), d’Aix-la-Chapelle (Allemagne) et, au nord, par la frontière hollandaise, les revêtements en zinc couvrant les façades de nombreux bâtiments. Cette technique d’isolation, extrêmement répandue dès la fin du XIXe siècle dans cette région proche des mines métallifères de La Calamine (Belgique), a progressivement disparu des façades se parant désormais de matériaux plus lisses et faciles d’entretien. Installées sous forme de larges structures pour la plupart en damiers, les feuilles de zinc préalablement oxydées portent les stigmates de leur exposition aux aléas météorologiques ou à la négligence humaine[2].

     Et c’est bien ce qui façonne, par-delà l’aspect documentaire d’un usage devenu caduc d’un matériau industriel, la pratique photographique d’Irmel Kamp, comme on peut le constater aussi dans les autres séries présentées dans l’exposition (Bruxelles-Brussel et Moderne in Europa). Son intérêt pour les formes les plus sophistiquées d’architectures modernistes, identifiées au fil de ses déplacements, autant que son appréhension attentive de styles plus régionaux, fait apparaître dans la rigueur de ses prises de vues et de ses tirages méthodiques l’inévitable défaillance des entreprises humaines. Rien de tragique ici, juste une récurrence, qui prête parfois à sourire, mais donne surtout à cette œuvre subtile la capacité de faire d’une bouleversante absence son sujet central.


Franck Balland




[1] « Dans la mesure du possible, mes photographies montrent toujours une partie, même minime, de l’environnement, car l’objet façonne toujours son environnement et n’est jamais perçu sans lui. Mais en même temps, l’environnement façonne aussi l’objet. » Irmel Kamp, entretien avec Barbara Hofmann-Johnson et Markus Mascher, in Irmel Kamp, Architekturbilder, Walther König, 2022.

[2] Comme le fait justement remarquer la critique d’art allemande Silke Hohmann à propos du zinc dans l’œuvre d’Irmel Kamp : « Ses ombres, traces et lésions constituent un processus de stockage d’informations en tant que tel. Une réaction de surface, comme la photographie elle-même. » Irmel Kamp, Zink, Soy Capitan, texte d’exposition pour la Galerie Thomas Fischer, 2020.


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