HUMAN BREATH
MICHA LAURY
L'exposition personnelle Human Breath de Micha Laury se présente non pas comme une rétrospective, mais comme un « retour aux sources ». Aux sources du travail, car l’exposition mêle des dessins historiques des années 1960 - fondateurs des installations et performances qui se développeront sur presque 60 ans - à des œuvres sculpturales récentes et inédites. Mais elle renvoie plus généralement aux « prémices de la vie », où les souvenirs d’enfance de Micha Laury - fondateurs de concepts en construction - se confrontent aux origines de l’Humanité.
Micha Laury, être au monde
Dès la fin des années 60, Micha Laury a placé la figure du corps au centre de ses préoccupations. Une figure générique, à la recherche de sa place dans l’espace, ainsi qu’en témoigne toute une série de dessins fondateurs de sa démarche. Autodidacte, l’artiste a développé au fil du temps sa réflexion à l’épreuve de sa propre histoire et de ses ressentis, mêlant souvenirs et expériences personnelles en un tout éclectique par sa forme et palimpseste par son iconographie.
Il a été élevé et il a grandi dans un kibboutz, isolé de tout contact et de toute connaissance artistique.
Enfant, il a été impressionné par les maisons de terre du village voisin qui semblaient
sur le point de s’écrouler.
Il a été renvoyé de son école d’art parce qu’il refusait de se plier à l’exercice obligé de peindre des fleurs :
c’est alors qu’il a décidé de se consacrer à l’art.
L’un de ses premiers dessins, intitulé « I Don’t Know What to Do » (1967), le représente, son visage lové dans le creux de sa main, en train de se demander quoi faire – un dessin à valeur symbolique et pérenne.
Après avoir découvert un petit livre sur Marcel Duchamp, il est allé à Philadelphie et il est resté toute la journée
au musée, fasciné par la complexité énigmatique de la démarche de l’artiste.
Il a multiplié les performances, conçues d’abord et avant tout comme des exercices d’atelier,
mettant en jeu les limites du corps - de son propre corps.
Porté par la curiosité de voir les ossements fossilisés de Lucy, l’australopithèque vieux de 3,2 millions d’années
découvert en 1974, il s’est rendu à Addis-Abeba, en Ethiopie, et a intégré par la suite dans son travail
toute une série de dessins en rapport avec cette expérience.
Il a le projet de réaliser un film dans lequel, successivement au pôle Nord puis au pôle Sud, il tournera
sur lui-même pendant 24 heures, en opposition avec la rotation de la terre, restant de ce fait fixe
par rapport à l’axe de la galaxie – une façon de résistance symbolique face à l’univers.
Employant son expérience personnelle pour véhiculer des idées universelles, Micha Laury – qui est un intuitif qui réfléchit - fait partie de cette catégorie d’artistes dont la vie et l’œuvre sont intimement liées. Polymorphe, celle-ci en appelle à toutes sortes de formulations plastiques – de la figuration à l’abstraction, du dessin au volume et de la performance à l’installation -, ainsi qu’à toutes sortes de protocoles et de matériaux – du crayon, de l’encre, de l’aquarelle, de la céramique, etc. En dehors des sentiers battus, son art est requis par une quête de l’origine, à la recherche d’un essentiel qui constitue son identité. Si la figure humaine et la maison en sont les deux motifs cardinaux, c’est qu’ils condensent l’histoire même de l’humanité.
D’un bout à l’autre de la chaîne du temps, la démarche de Micha Laury - qui joue et rejoue continûment les allers et retours de la mémoire – se nourrit de tout ce que l’artiste a vécu, traversé, observé, échangé, etc. A l’appui d’œuvres du tout début de son activité et des plus récentes, cette exposition, sans en relater les détails narratifs, en compose un fulgurant raccourci - une façon de florilège, qui acte sa présence au monde, tantôt éblouie, tantôt inquiète.
Philippe Piguet
Historien et critique d’art